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Le déficit démocratique dans la participation électorale des Autochtones au Canada

Dernière mise à jour : 15 nov. 2023

Mélissa Poutot



Photo: Arnaud Jaegers


 

Le 15 août dernier, Mary Simon, gouverneure générale du Canada, a approuvé la dissolution du Parlement à la suite de la demande du premier ministre, Justin Trudeau. Pour plusieurs, les élections fédérales sont une opportunité de faire valoir son opinion vis-à-vis du gouvernement. Pour d’autres, les élections permettent de renforcer le pouvoir d’une élite politique. Pour eux, il y a peu de place pour la réconciliation et la représentativité de la diversité.


Cela dit, il est possible de constater qu’il y a un certain déficit démocratique chez les populations autochtones, qui réunit les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Les données recueillies par Élections Canada montrent que le taux de participation des Autochtones lors des élections fédérales est faible comparé au reste de la société canadienne. Selon une étude réalisée en 2019, le taux de participation électoral moyen des Autochtones vivant sur une réserve se trouve aux alentours de 44 % tandis que le niveau de participation des non-Autochtones est d’environ 61 % (Dabin et al., 2019). Malgré le manque de littérature et de données empiriques récentes, le peu d’études menées soutient cette remarque.


Pourquoi ?


Il existe plusieurs hypothèses qui peuvent expliquer ce phénomène. Il est possible de les regrouper en deux catégories : les hypothèses applicables aux Autochtones et les autres groupes de la société canadienne, et les hypothèses spécifiques aux communautés autochtones.


Hypothèses généralistes : situation économique, démographie et développement social.


Les conditions sociodémographiques et économiques non favorables mènent à un désintérêt plus grand lors des élections fédérales. De nombreuses études ont montré que les individus, qu’ils soient Autochtones ou pas, qui ont un faible revenu familial ou qui sont au chômage ont moins tendance à voter (Fournier et Loewen, 2012). En 2020, le taux de chômage pour la population non autochtone était de 9,4 % tandis que le taux de chômage pour la population autochtone était de 14,2 % (Statistiques Canada, 2020). Ce taux de chômage plus élevé chez les groupes autochtones pourrait en partie expliquer le désintérêt pour la politique.


Les jeunes ont moins tendance à participer au suffrage que leurs concitoyens plus âgés. Il est possible de constater que l’âge moyen des Autochtones est plus bas que le reste de la société canadienne (Fournier et Loewen, 2012). Il est donc possible d’en déduire que puisqu’il y a plus de jeunes autochtones, et que les jeunes en général ont moins tendance à voter, le taux de participation est plus faible chez les Autochtones que dans le reste de la société canadienne.


Les dispositions psychosociales, dont le sens de devoir civique, l’aptitude et l’apathie politique, peuvent expliquer le faible taux de participation des Autochtones au suffrage (Fournier et Loewen, 2012). Cette tendance est aussi présente chez les nouveaux arrivants issus de l’immigration, par exemple. Les individus qui ne croient pas que le vote est un devoir civique, qui n’a pas les ressources pour s’informer des enjeux politiques ou un simple désintérêt pour la politique sont plus portés à s'abstenir du vote (Dalton, 2007, p. 253).


Hypothèses spécifiques : le sentiment d’être aliéné de la société canadienne.


Le nationalisme autochtone a entraîné un processus de décolonisation afin de se retirer du reste de la société représentée par une institution élitiste opprimante. Malgré les incohérences dans les études menées à cet égard, il y a une perception selon laquelle les Autochtones sont des membres d’une nation distincte et ne se voient pas comme membre de la nation colonisatrice (Harell et al., 2010). On peut penser que puisque la perception devient plus populaire, les Autochtones s’abstiennent du suffrage fédéral. Or, il n’existe malheureusement pas de données empiriques afin de soutenir ou invalider cette théorie.


Lié au nationalisme autochtone, « l’ostracisme » est un sentiment d’exclusion des sphères sociale et politique que ressentent certains Autochtones (Fournier et Loewen, 2012). En effet, les institutions fédérales ne font que défendre les intérêts des non-Autochtones et celles-ci ont été utilisées comme des instruments d’oppression pendant longtemps causant ainsi un manque de confiance énorme (Harell et al., 2010). Pour certains penseurs autochtones, dont Taiaiake Alfred (1999), participer aux élections fédérales ne fait que légitimer l’histoire coloniale du Canada.


Il y a un manque de représentativité dans la politique fédérale. Les partis politiques, issus de ces institutions opprimantes, ne mettent pas les questions et les enjeux des Autochtones dans leurs programmes, omettant ainsi le vote de ce groupe (Fournier et Loewen, 2012). Il y a un manque d’intérêt par les acteurs politiques de la scène politique canadienne de favoriser le vote des Autochtones menant ainsi à un déficit démocratique plus grand.


Des solutions ont été proposées pour remédier à ce déficit démocratique.

Les Autochtones doivent avoir les ressources nécessaires pour participer au suffrage puisqu’un haut taux qui vivent hors réserve en milieu urbain sont touchés par la pauvreté, et n’ont donc pas les ressources socio-économiques pour voter (Harell et al., 2010).

L’amplification de la représentation des Autochtones au niveau fédéral, en passant par les institutions politiques et les associations autochtones, peut faire augmenter la participation des Autochtones, car ils pourront s’identifier aux individus qui se présentent (Harell et al., 2010).


Le gouvernement fédéral a commis de graves violations des droits de la personne vis-à-vis du traitement des Autochtones. Cela dit, cette institution qui a longtemps opprimé les populations autochtones doit résoudre les questions litigieuses qui persistent afin de faire augmenter le taux de participation au suffrage (Harell et al., 2010). La résolution des conflits permettra de non seulement mener un pas de plus vers la réconciliation, mais aussi de faire augmenter la confiance des Autochtones envers le gouvernement fédéral (Harell et al., 2010)


 

Melissa Poutot est une étudiante de quatrième année en science politique. Elle s'intéresse aux enjeux lié à la représentativité des Autochtones et des minorités visibles dans l'élaboration de programmes et de politiques publiques.

 


Références


Alfred, T. (1999). Why Play the White Man’s Game. Wind Speaker 17 (4), 4-5.


Dabin, S., Daoust, J., & Papillon, M. (2019). Indigenous Peoples and Affinity Voting in Canada. Canadian Journal of Political Science, 52(1), 39-53.


Dalton, J. (2007). Alienation and nationalism: is it possible to increase First Nations voter turnout in Ontario? Canadian Journal of Native Studies, 27(2), 247-291.


Fournier, P., & Loewen, P. (2012). Participation électorale des Autochtones au Canada. Élections Canada.


Harell, A., Panagos, D., & Matthews, J. S. (2010). Explaining Aboriginal Turnout in Federal Elections: Evidence from Alberta, Saskatchewan, and Manitoba. Aboriginal Policy Research Consortium International (APRCi), 3-24.


Statistiques Canada (2020). Caractéristiques de la population active selon la région et le groupe autochtone détaillé. https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/en/tv.action?pid=1410036501



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