le cas de la Turquie dans l’Opération « Source de Paix »
Yassine El-Ouaqaf
Le 9 octobre 2019, les Forces armées turques et des forces auxiliaires issues de l’armée nationale syrienne ont lancé une offensive au nord-est de la Syrie. L’opération a donc eu lieu sur le territoire autonome du Rojava qui est tenus par les forces kurdes. Cette offensive, connu sous le nom « Opération Source de Paix » a eu lieu trois jours après le retrait des troupes américaines de cette région. C’est la troisième offensive du genre menée par la Turquie en territoire syrien après les Opérations « Bouclier de l’Euphrate » (2016-2017) et « Rameau d’Olivier » (2018) ayant toutes les deux eu lieu au nord-ouest de la Syrie. Ces trois opérations avaient pour but de créer une zone tampon entre le territoire syrien en pleine guerre civile et le territoire turc et ont principalement mené à des affrontements contre les forces kurdes du YPG.
L’Opération « Source de Paix », arrêtée par l’intervention de forces russes et syriennes pro régime, a été hautement médiatisée, car elle fut possible seulement après une décision de Washington de quitter la zone. Les violations du DIH durant cette opération et l’occupation qui en a suivi ont été dénoncées par plusieurs organisations, comprenant d’Amnistie internationale et l’Observatoire syrien pour les droits de l'homme. Les violations ayant eu lieu comptent l’utilisation de phosphore blanc (Sabbagh, 2019), le bombardement d’infrastructures civiles, des coupures d’électricité et d’accès à l’eau potable ainsi que des enlèvements et des meurtres (Syrian Observatory for Human Rights, 2020). Un cas important est celui d’Hevrin Khalaf, politicienne kurde qui a été assassinée par des rebelles pro turques.
Ces rebelles pro turques font partie de l’Armée nationale syrienne, coalition syrienne rebelle financée, équipée et entraînée par la Turquie. En raison du financement que ces rebelles reçoivent directement d’Ankara et de leur implication dans des affrontements sans lien direct avec le renversement du régime de Bachar Al-Assad (que ce soit en Syrie ou ailleurs), nous référerons à eux dans ce texte comme étant des mercenaires (Sanders & Salameh, 2020) (Soloyov, 2016). Un mercenaire est un combattant qui n’appartient à aucune des parties en conflit (Turquie/forces kurdes) et qui est principalement motivé par l’argent, ce qui est donc le cas ici. Cet article tentera d’expliquer comment l’utilisation de ces mercenaires par la Turquie a permis à cette dernière de se dissocier d’éventuels crimes commis durant l’offensive et durant la période d’occupation. Cette dissociation et le refus par la Turquie de prendre des mesures disciplinaires auraient facilité la perpétration de ces crimes par ces mêmes mercenaires par l’absence d’imputabilité. Nous discuterons d’abord le cas du meurtre d’Hevrin Khalaf, devenu symbole des exactions, et des accusations faites à l’endroit de la Turquie par Amnistie internationale et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droit de la personne. Nous discuterons ensuite des règles du droit international humanitaire enfreintes par la Turquie à travers le dans le cas de l’Opération « Source de Paix ».
Violation sur le terrain : le cas d’Hevrin Khalaf
Hevrin Khalaf, politicienne kurde et ingénieure civile, a été prise en embuscade par des mercenaires membres du groupe Ahrar al-Sharqiya le 12 octobre 2019 alors qu’elle avait 34 ans. Elle a été mutilée puis assassinée par ces mercenaires, tout comme son garde du corps. Les assassins d’Hevrin Khalaf ont aussi tué deux miliciens kurdes et deux civils membres d’une organisation médicale, la même journée au même endroit (Amnistie internationale, 2020). Le meurtre de Madame Khalaf a eu lieu seulement 4 jours après le début de l’opération turque. Elle était Secrétaire générale du nouveau parti politique Future Syrie et une importante militante pour la paix en Syrie. Étant dans les premières victimes civiles de l’opération et déjà très connue, elle est rapidement devenue le symbole des victimes de l’Opération « Source de Paix » et tout particulièrement des victimes des mercenaires syriens à la solde de la Turquie.
Le Secrétaire générale d’Amnistie internationale, Kumi Naidoo, a déclaré à la suite de ces crimes que la Turquie était responsable des actions des groupes armées syriens qu’elle supporte et dirige, mais qu’elle a laissé ces groupes libres de commettre des violations (Amnistie internationale, 2020). Il a ajouté que la Turquie ne pouvait pas échapper à la responsabilité en externalisant les crimes de guerre aux groupes armés. C’est pourtant bien ce que la Turquie semblait faire en remettant plusieurs tâches liées au combat et à l’occupation du territoire aux mains des mercenaires (Syrian Observatory for Human Rights, 2021). Laissés alors en roue libre dans leurs missions, les mercenaires ont pu se livrer aux exactions susnommées. La Turquie a par ailleurs balayé de la main une demande d’enquête provenant du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de la personne en affirmant que les accusations contre ses groupes armés alliés étaient infondées et offensantes, refusant ainsi de condamner les actions des mercenaires et de prendre toute action face à des troupes qui lui sont subordonnées (Al Jazeera, 2020).
Exactions et mercenaires : une violation flagrante du DIH
Sans aller dans les détails de l’application du DIH aux différentes phases de cette opération, mieux expliqués par d’autres (Ramelli 2020), on peut noter des violations graves du droit international humanitaire par la Turquie et ses mercenaires. Le DIH est un ensemble de règles qui s’appliquent aux conflits et des violations graves à ces règles constituent ce qu’on appelle communément des crimes de guerre. Ces violations avaient principalement lieu à travers des attaques délibérées envers des personnes et des infrastructures civiles. L’utilisation même de mercenaires par la Turquie, prohibé par le Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux de 1977 constitue une violation du DIH. De plus, dans le cas de l’Opération « Source de Paix » apparait la notion de la « responsabilité des supérieurs » (Neilson, 2011). Cette notion légale, apparaissant dans le protocole additionnel de la Convention de Genève, affirme que les supérieurs hiérarchiques des combattants sont responsables des crimes de guerre de leurs subordonnées s’ils les ordonnent ou les laissent être commis sans punitions. C’est exactement le cas de la Turquie qui, comme nous l’avons, refuse d’enquêter sur les crimes commis par ses mercenaires au Rojava.
Conclusion
Dans cet article nous avons pu discuter du meurtre de la politicienne kurde Hevrin Khalaf par des mercenaires syriens pro turque, les crimes de guerre parmi tant d’autres qui ont eu lieu durant les combats, puis durant l’occupation de la zone de l’Opération « Source de Paix ». Ces violations du DIH ont engendré des accusations par Amnistie internationale et d’autres ONG. L’ONU a même déposé une demande d’enquête qui a été refusée par la Turquie. Nous avons ensuite pu voir, plus en détail, les diverses violations commises par la Turquie et ses mercenaires à travers les diverses conventions du DIH. Finalement, nous pouvons conclure en affirmant que la Turquie perpétré impunément des crimes de guerre au nord-est de la Syrie en les externalisant à des groupes mercenaires. Le refus de la Turquie de prendre son rôle comme supérieur et de punir les mercenaires commettant des exactions facilite alors leur perpétration. Le cas de la Turquie et de ses mercenaires au nord-est de la Syrie nous montre qu’il y a encore du travail à faire pour rendre imputable les États face aux violations du DIH commises par leurs mercenaires.
Yassine El-Ouaqaf est un étudiant de deuxième année en sciences politiques et en science économique. Il est particulièrement intéressé aux affaires internationales et aux questions de conflits et de crises
BIBLIOGRAPHIE
Neilson, K. (2011). Ending Impunity : Bringing superiors of private military and security company personnel to justice. New Zealand Yearbook of International Law, 9, 121-160.
Ramelli, G. (2020). An analysis of the application of international human law to the armed conflicts arising from operation peace spring. [LLM Thesis]. Amsterdam University.
Sabbagh, D. (2019, 18 octobre). Investigation into allged use of white phosphorus in Syria. The Guardian. Tiré de www.theguardian.com.
Soloyov, D. (2016, 15 février). Russia says Turkey helps ‘jihadis, mercenaries’ to penetrate Syria. Reuters. Tiré de www.reuters.com
Sanders, L. & Salameh, K. (2020, 30 octobre). Syrian mercenaries sustain Turkey’s foreign policy. Deutsche Welle. Tiré de www.dw.com
Al Jazeera. (2020, 18 septembre). UN urges Tuyrkey to investigate possible war crimes in north Syria. Al Jazeera. Tiré de www.aljazeera.com
Syran Observatory for Human Rights. (2021). ”Peace Spring” areas in January 2021 Nearly 50 arbitrary arrests… escalating security chaos… fights over civilian properties and revenue-sharing. Tiré de www.syriahr.com/en/203810/
Syran Observatory for Human Rights. (2020). Turkey hits Kurds in northern Syria with a cruel weapon: water. Tiré de www.syriahr.com/en/203810/
Amnesty International. (2020). Syria : Damning evidence of war crimes and other violations by Turkish forces and their allies. Tiré de https://www.amnesty.org/en/latest/news/2019/10/syria-damning-evidence-of-war-crimes-and-other-violations-by-turkish-forces-and-their-allies/
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